Tout ce que je voulais, moi, c'était des chaussures...

02/11/2012 22:36

Je pense qu'il s'appelle Jean-John. Oui, celui qui a décidé de mettre ce concept en place.

Un jour Jean-John est arrivé en salle de réunion avec son gobelet de café et son bluetooth à l'oreille, s'est assis, et a dit à son équipe : "les gars, on va assister les mamans. On va les assister, les infantiliser et ainsi les fidéliser. D'une pierre trois coups."

Tout le monde ou presque a dû voter oui car le protocole est aujourd'hui en place et suivi à la lettre.

J'ai découvert le concept pondu par Jean-John ce weekend. En allant acheter des chaussures pour ma fille.

En entrant dans la boutique j'ai dit ce que j'avais à dire à la vendeuse : "Bonjour, bon voilà, je cherche des chaussures pour ma fille, elle a un an."

Point barre. C'est vrai, qu'y a-t-il d'autre à dire ? Sors-moi les différentes paires susceptibles de lui aller, on essaye, je paye et ciao ciao. Dans ma tête c'était ça, acheter des chaussures.

Non. Pas point barre. Non ce n'est pas que ça acheter des chaussures. C'est devenu compliqué, les chaussures. Comme tout.

- Mesure du pied droit avec un appareil sophistiqué ;

- Mesure du pied gauche, toujours avec le même appareil sophistiqué (jusque-là, c'est plutôt normal) ;

- Explications à propos de la chaussure, de sa conception : les renforts arrière, les semelles, les coussinets, l'aération, les voûtes plantaires, les doublures en cuir, la rigidité, pas la rigidité, la souplesse, pas la souplesse, le confort, la qualité, la réputation de la marque ;

- Explications sur la croissance du pied de l'enfant ;

- Explications sur l'importance de bien chausser son enfant, avec de la qualité ;

- Initiation à la podologie

Eh ! Oh ! Ce n'est pas Forrest Gump ; c'est une petite fille d'un an ! En passant, sont-ce des Christian Louboutin à ce prix-là ? Car à première vue la semelle est brune. La marque de fabrique de Louboutin c'est pourtant les semelles rouges. Non, ce sont des chaussures de bébé.

J'ai pris les beiges avec de petites fleurs roses cousues. Elle a posé la boîte contenant les deux précieux objets sur le comptoir. "On va lui ouvrir un dossier" me dit-elle dans la foulée. "Tu ouvres un dossier pour les chaussures de la petite" dit-elle à la jeune caissière avant que j'aie pu donner mon avis.

- Un dossier... ? Pour quoi faire ?

- Pour suivre l'évolution des pieds de votre fille. On va entrer ses données dans le dossier (la mesure de ses pieds au 25 juillet 2012) afin de faire un suivi. Puis, tous les trois mois nous vous enverrons un rappel pour que vous veniez au magasin faire mesurer ses pieds à nouveau. A cet âge-là, on change les chaussures tous les trois mois. Et pour les bottes d'hiver, c'est en septembre qu'il faut les acheter.

- Et si je n'ai pas besoin de toi, de Jean-John et de ton dossier informatique pour savoir quand mon enfant est à l'étroit dans ses chaussures ? Et si mon bébé c'est tous les trois mois et demi qu'il faut changer ses chaussures ? Et si je suis une grande fille qui n'aime pas se sentir infantilisée ? Et si je n'ai pas envie de revenir dans ton magasin cet automne car tout à l'heure, lorsque je t'ai dit que j'allais quand même faire un petit tour dans le centre commercial pour voir s'il y avait d'autres boutiques de chaussures pour enfants, tu as tout de suite cessé de me lécher le derrière ? Je pense que je viendrai plutôt au début de l'hiver... Si je reviens... (Suis comme ça, moi. Une excentrique qui aime bien choisir où et quand elle achète ses trucs.)

- Et ce qu'il y a de très bien avec ce dossier, c'est que vous pouvez venir magasiner des chaussures pour votre fille... sans votre fille : nous saurons où elle en est dans sa taille de pieds grâce aux dernières données enregistrées !

- Génial ! Moi qui pensais encore revenir avec elle pour lui faire essayer sa prochaine paire ! Je la déposerai donc chez ma mère avant de passer. Dois-je apporter son certificat de naissance ?

Il est vrai que les rares fois où je n'ai pas ma fille et ai enfin la possibilité de me reposer, je vais aller faire les magasins pour elle, sans elle, et lui acheter des chaussures sans les lui faire essayer. Et pourquoi pas payer une glace à mon grand-père que j'aime, décédé l'an dernier ? Il adorait les fraises...

Tout ce que je voulais, moi, c'était des chaussures. Des chaussures et une vie normale...

(crédit photo : lacuisinedenathalie.com)